Comment tuer la médecine générale ?

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, président du GBO/Cartel, publié le 12/12/2024.
Les billets repris dans la rubrique « Grains à moudre » témoignent des opinions personnelles de leur auteur (et n’engagent que lui), sans nécessairement refléter la position du GBO/Cartel.

Il n’est pas question ici de trouver un coupable, les responsabilités sont multiples, la mise en place est anonyme, l’enfer c’est les autres.

En assistant au congrès de la WONCA (1) à Dublin en septembre 2024, on se rend compte que le problème est global, et que la médecine générale est menacée partout, et la qualité des soins est en péril parce que la menace se pose sur tous les partenaires des soins de santé. Mais le scénario est quand même parfaitement orchestré, et notre pays se classe souvent parmi les plus menacés dans les classements internationaux.

Il y a d’abord une diminution des forces de travails de tous les travailleurs de la santé :

  • Ils vieillissent 40 % des producteurs de soins en Europe ont plus de 45 ans, en médecine générale en Belgique les chiffres sont bien plus haut
  • Ils meurent, cela arrive aux meilleurs
  • Ils émigrent vers des cieux plus bleus où jamais il ne pleut
  • Ils abandonnent la profession

Ces phénomènes ont tendance à s’amplifier, vu que la surcharge de demandes due au manque de forces de travail provoque de nouveaux abandons. Ajoutons à cela que 75% des soignants sont des soignantes, et que la plupart d’entre eux, homme ou femme, ne travaillent plus à plein temps.

Comme si cela ne suffisait pas, on a un accroissement de la demande car :

  • La population vieillit
  • Il y a une augmentation des maladies chroniques qui sont le plus souvent dévolu à la médecine de famille
  • Il y a une augmentation de l’exigence des patients
  • Il y a les conséquences de l’épidémie de Covid, créant des aggravations des maladies chroniques (2)

Comment ne pas aussi mettre en relief l’insécurité dans laquelle se trouvent les soignants ? S’il survient un accident sur 10 interventions à l’hôpital (alors qu’en médecine générale ce n’est que de 2 pour 100), le fait est que, dans 50% des interventions hospitalières, on estime que les incidents sont évitables, alors que dans 80% des cas, l’accident aurait pu être évité chez l’omnipraticien. Cela entraîne une seconde victime car, outre le patient, le médecin se sent responsable de l’erreur et peut très mal le vivre. Statistiquement, il est évidemment impossible de ne pas commettre d’erreur. Les raisons en sont multiples : multimorbidité, polypharmacie, et symptômes multiples du côté des patients. Du côté des conditions de travail des généralistes : manque de temps, pauvreté des procédures, insuffisance de supervision, ressources obsolètes et risque entraîné par des visites de routines.

En conclusion de ses risques, il faut que les médecins prennent soins d’eux-mêmes, puissent avoir le support d’intervision et que les risques d’erreurs puissent être identifiés (3).

Il faut voir qu’il s’agit d’un phénomène généralisé, mais que dans les statistiques qui furent montrées pour notre pays se situait dans le peloton de tête … des plus mal classés. Dans les 10 prochaines années, il faut voir que des mesures doivent être prises pour protéger la médecine générale et les autres prestataires de première ligne. Une considération intéressante des suites du Covid est aussi à considérer. Les troubles de santé mentale durant la crise Covid ont affecté majoritairement les infirmières, et après la crise, le personnel administratif et les médecins. Nous sommes tous dans le même bateau. D’autres exposés relatifs à l’Irlande et à la Finlande montrent une fois de plus que les relations avec un médecin traitant de manière régulière ont tendance à faire décroitre la mortalité et la morbidité. Les généralistes n’ont pas à avoir honte de leur profession mais ils doivent affronter des géants comme l’industrie pharmaceutique et les complexes industriels.

(1) Wonca est l’acronyme de World Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations of General Practitioners/Family Physicians, ou plus simplement World Organization of Family Doctors, l’organisation mondiale de la médecine générale.

(2) D’après l’exposé final de la WONCA Dublin du Docteur Tomas Zapatap professeur dans différentes université dont Harvard.

(3) D’après un exposé de Maria-Pilar Astier Peña de l’université de Saragosse.