C’est pourtant si simple de cocher une case

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, président du GBO/Cartel, publié le 11/09/2024.
Les billets repris dans la rubrique « Grains à moudre » témoignent des opinions personnelles de leur auteur (et n’engagent que lui), sans nécessairement refléter la position du GBO/Cartel.

« Docteur, faites-moi une prise de sang, la ‘complète’ »

Pontifier avec un accent « pointu » sur le ton de la polémique, rien de tel pour faire jaser. Ce mode provocateur pimenté de gouaille, c’est celui qu’adoptait naguère un confrère français, professeur de son état, pour lancer une croisade contre le dosage du cholestérol. Ses arguments étaient convaincants : aucune preuve sérieuse n’étaye l’idée que doser le cholestérol permet de prévenir un accident cardio-vasculaire si aucun autre facteur de risque, un diabète par exemple, n’est présent. Autrement dit, en l’absence de pathologie associée, la baisse du cholestérol n’a aucun intérêt en prévention primaire. Par contre, si un accident cardiovasculaire s’est produit, en prévention secondaire donc, faire baisser le cholestérol diminue le risque de façon majeure, et ce quel qu’en soit le taux. Notre brillant expert démontrait ainsi que la mesure du cholestérol n’avait pas grande utilité.

Docteur, faites-moi « la complète »

Rassurez-vous, je ne veux donner de leçon à personne et je dose le cholestérol des patients qui en font la demande sans faire d’histoire. Mais je ne peux que m’interroger quant à notre pratique de biologie clinique qui, avouons-le, ne repose pas toujours sur une véritable politique de santé. Les gestes majeurs de la prévention sont et restent quelques mesures simples : prise du poids, tension et rythme cardiaque, dosage de la glycémie, dépistage des cancers du côlon et du sein, un frottis de col tous les 3 ans, une inspection périodique de la peau chez les phénotypes clairs. Toutes choses peu enrichissantes pour les laboratoires et producteurs de statines.

Cet engouement pour le dosage du cholestérol repose sur un malentendu bien connu de tout généraliste :

« Docteur, faites-moi une prise de sang, la ‘complète’ »

Persuadés qu’une prise de sang répondra à toutes leurs angoisses, les non-professionnels sont rarement disposés à entendre qu’il s’agit d’un dépistage très partiel et non dépourvu de risques car, comme tout examen sans signe clinique, il peut entraîner la découverte d’anomalies qui entraîneront des explorations complémentaires avec leur lot d’inquiétudes et de risque iatrogène. Par contre, si cette prise de sang est accompagnée d’une véritable mise au point préventive, elle peut faire sens. Mais c’est rarement le cas.

Je ne veux pas m’instituer en imprécateur, ni prétendre que mes performances en la matière sont irréprochables mais, en tant que responsable syndical, ces dérives et les facteurs qui les entraînent m’interpellent.

  1. Premier facteur : la mauvaise formation du public, que les carences de l’enseignement laissent à la merci d’informations pas toujours correctes colportées de proche en proche ou diffusées sur la toile. Les lieux communs du style « une radio et une prise de sang sont bien supérieures à l’expertise d’un médecin » ont encore de beaux jours devant eux et sont responsable de l’afflux aux urgences bien équipées en machines.
  2. Nous fonctionnons dans un « marché de la santé » largement dérégulé. La pratique d’examens complémentaires mérite un cadre mieux défini : nous ne plaidons évidemment pas pour un système dirigiste coercitif mais proposons la promotion de guides clairs et tenus à jour pour nous améliorer et tenir un discours unanime et cohérent vis-à-vis des patients.
  3. Dans bien des cas, les tests de micro-laboratoires avec prélèvement au doigt peuvent épargner des prises de sang globales. À défrayer ?
  4. Le quatrième facteur, qui conditionne les items précédents, est lié au système de financement : les laboratoires cliniques génèrent un chiffre d’affaires considérable, souvent vital pour les hôpitaux. Il y a là un équilibre financier que les grosses entreprises ne peuvent pas modifier d’un claquement doigt, à coup de « il n’y a qu’à » ou de « il faut qu’on ». Une transformation des pratiques en matière de biologie et de radiologie ne pourra se mettre en place que couplée à un intéressement des structures spécialisées, mais cette proposition a peu de chances d’être acceptée.
  5. Et puis il y a le facteur humain : que peuvent les beaux raisonnements si, par hasard, je loupe un diagnostic ? Même si c’est irrationnel et exceptionnel, je peux découvrir quelque chose de grave dans une simple prise de sang. Que dire au patient si … Nous ne sommes pas des machines et ce petit coin d’incertitude explique bien des gestes pourtant irrationnels. Pas simple à gérer !

Des questions simples ?

Comme toujours, une question simple – doser ou non le cholestérol – nous plonge dans un océan de complexité face à des enjeux contradictoires et des solutions toujours partielles. Le rôle d’un syndicat est de trouver les meilleurs compromis, le meilleur soin au meilleur endroit. Dans ce cas-ci, seule une excellente pédagogie et une puissante concertation nous permettront de sortir du dilemme par le haut. Perplexité, quand tu nous tiens …