
CECI N’EST PAS UN SYSTÈME DE SANTÉ
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-président du GBO, publié le 30/09/2022
On a beau vivre dans un pays où le surréalisme est roi, la réalité insiste toujours … La structuration des soins de santé n’échappe pas à ce truisme.
C’est une histoire que beaucoup de généralistes ont vécue, celle de la patiente qui revient après des mois ou des années d’absence. En oncologie, on ne lui donne plus de rendez-vous, on la renvoie à son médecin traitant. Avec de la chance, vous avez reçu un rapport précisant que les possibilités de traitements sont dépassées ; dans le cas contraire, débrouillez-vous pour dénicher l’information.
Pourtant, tout avait bien commencé. Lors de la découverte fortuite du cancer du sein, vous avez accompagné les larmes et l’angoisse, vous l’avez convaincue de ne pas baisser les bras, de consulter un confrère qui avait votre confiance dans un service de qualité. Après les heures pénibles des premières chimio, elle a repris du poil de la bête, vous ne l’avez presque plus vue, elle était trop occupée par ses nombreux rendez-vous et la consultation oncologique multidisciplinaire (COM) avait été fixée – sans votre avis – à une heure impossible pour vous. Vous avez eu des nouvelles de loin en loin par son mari et par ses proches, « elle est très courageuse », puis « elle va mieux ». Mais après la rémission est venue la récidive et de nouveau elle a affronté la situation avec la détermination et le courage que vous lui connaissiez. Les autres nouvelles vous ont été transmises par l’innombrable courrier des spécialistes.
Les soins de santé sont financés de telle manière que l’acte est infiniment plus rentable que la relation. Ce financement non coordonné est un gouffre, il est incohérent, et se mettre la tête dans le sable en pensant que cela ne va pas être réformé est inconséquent.
Pourtant, aujourd’hui, il n’y a plus personne et vous devez affronter seul les questions cruciales, celles des soins palliatifs, de ses volontés, de la sédation et de l’éventuelle euthanasie. Ce qui frappe, c’est la brutalité de ce transfert, brutalité qui trouve son explication dans le fait que la patiente a eu affaire à des médecins techniciens intolérants à l’échec thérapeutique.
Heureusement nous avons tous en tête des expériences positives avec des spécialistes qui prennent la peine de se concerter avec vous à chaque étape d’un traitement et assument correctement l’annonce de mauvaises nouvelles. Faut-il classer les partenaires en bons et mauvais ? C’est parfois l’impression que j’ai en racontant mes déboires de mauvaises collaborations. Nous préférons tous travailler avec de bons partenaires, avec lesquels nous avons des relations de confiance.
Mais, au lieu de considérer ce récit comme un problème individuel ou de stigmatiser certains spécialistes, il serait plus efficace de considérer la structuration des soins qui mène à ces impasses.
Sans peur et sans reproche
Nous avons été formés dans un esprit de responsabilité individuelle. L’image du soignant sans peur et sans reproche, inoculée lors de notre formation et cultivée dans le grand public, aboutit à des aberrations, pensons à ces horaires délirants (parfois au-delà de 80 heures) érigés en standards par de hauts responsables qui trouvent légitime de les infliger à des assistants en formation quitte à mettre la vie des patients en danger à cause de leur épuisement et à mener certains au burn-out, à la dépression ou à d’autres misères. C’est ce mythe de l’invulnérabilité qui mène certains médecins à adopter une attitude de déni face à l’échec, qu’il prenne la forme de l’acharnement thérapeutique ou de l’abandon brutal des patients.
Les universités ont un rôle majeur à jouer dans la formation en y intégrant aussi la confrontation inévitable à l’échec et aux limites de la médecine. Plutôt que nous préparer à accompagner des démences, sujet peu enivrant mais pathologie fréquente chez nos patients, elles préfèrent consacrer du temps aux maladies auto-immunitaires, pathologies pleines d’attraits intellectuels mais qui ne constituent pas le quotidien de notre pratique.
Faut que ça change ! Mais pas sans nous !
En outre, nos systèmes de santé sont organisés pour des prises en charge en silo où chacun s’occupe d’un bout d’organe et ajoute son traitement au cocktail de médicaments prescrits dans les autres silos, au risque d’interaction majeure surtout si le patient additionne des problèmes de santé mentale ou/et d’addiction à ses pathologies somatiques.
Enfin, les soins de santé sont financés de telle manière que l’acte est infiniment plus rentable que la relation. Ce financement non coordonné est un gouffre, il est incohérent, et se mettre la tête dans le sable en pensant que cela ne va pas être réformé est inconséquent.
Tout cela doit changer et il faut nous positionner : soit nous accompagnerons le changement en veillant à ce qu’il soit une source de satisfaction pour tous les acteurs, en ce compris les patients, soit nous nous verrons imposer des réformes sans doute rationnelles mais fort mal vécues par la profession.
Le GBO/Cartel n’est pas un parti de connivence avec le « politique », il est persuadé qu’en affichant une bonne foi et des analyses sérieuses, il permettra une meilleure organisation des soins, respectueuse de la réalité de terrain et efficace dans un contexte où pénurie des intervenants se fait toujours plus criante.
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Dr Lawrence Cuvelier