Big Pharma est-il toxique ?

Dr Lawrence Cuvelier

Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-prĂ©sident du GBO
publié le 22/10/2021

Cela fait un moment que l’image des firmes pharmaceutiques se détériore. Elles sont passées d’interlocuteur providentiel à marchand de camelote, trafiquant les politiques de santé et s’avérant malfaisantes pour le bien-être général. Si l’industrie du médicament reste un partenaire nécessaire, le combat des médecins pour une meilleure santé devrait s’inscrire dans un rapport mieux régulé avec elle.

Les laboratoires pharmaceutiques ont accompli au fil du temps le triste exploit de se hisser parmi les industries les plus impopulaires de la planète. A priori, pourtant, vendre des médicaments est bien plus honorable que vendre des armes… Les raisons ne manquent pas pour expliquer un tel paradoxe.

Après-guerre, l’arrivée des antibiotiques, la victoire sur la tuberculose ou encore l’irruption d’une pharmacopée moderne dans le domaine de l’hypertension et du diabète auraient pu faire croire qu’une voie royale et sans obstacle s’ouvrait devant les firmes pharmaceutiques. Dans les années 60, le scandale de la thalidomide a ouvert les yeux de la population sur la réalité des effets secondaires et sur la façon très malhonnête de certains fabricants de les occulter. Bien que les pouvoirs publics aient adopté des mesures draconiennes pour éviter de tels accidents, il y a eu tout au long des décennies des victimes… et des dissimulations coupables et cyniques.

Coup de boost

A cela sont venus se greffer toute une série de phénomènes qui ont intensifié les intrications entre le public et le privé. Dans les pays occidentaux, la sécurité sociale s’est taillée une place considérable dans le paysage économique. Ses institutions sont devenues les acteurs incontournables du remboursement des médicaments. Certes, cette évolution a permis aux citoyens de se faire soigner sans se ruiner. Mais les budgets alloués aux soins de santé et consacrés au remboursement des produits pharmaceutiques ont permis aux firmes de se développer. Les montants à mobiliser pour mettre au point des médicaments nouveaux ont explosé, ce qui a entrainé la fusion de groupes pharmaceutiques et la disparition de la plupart des entreprises de petite taille.

Il faut, pour espérer orienter les prix et les recherches des géants industriels, des actions concertées de la part des pouvoirs publics de plusieurs pays.

Brevets convoités

On a Ă©galement assistĂ© Ă  un mĂ©lange entre les recherches privĂ©es et fondamentales, financĂ©es par des fonds publics, et parfois par des dons. Des spin-off dĂ©pendant des universitĂ©s conçoivent des mĂ©dicaments issus de la recherche fondamentale, et lorsque le produit semble ĂŞtre prometteur, une multinationale s’empresse de racheter le brevet rubis sur l’ongle. La R&D dont les firmes se targuent se rĂ©sume alors souvent Ă  l’industrialisation du produit, qui cela dit peut s’avĂ©rer coĂ»teuse. Pas mal de moyens sont par ailleurs investis en lobbying et publicitĂ©. S’ajoute Ă  cela, comme on peut l’observer dans notre pays, le poids Ă©conomique des grandes sociĂ©tĂ©s multinationales qui peuvent toujours brandir, en cas de mesure qui les contrarie dans l’agenda politique, le spectre de la dĂ©localisation – donc de la perte d’emplois. On comprend que le concept de « Big » pharma n’est pas usurpĂ©.

Pot de terre et de fer

On peut inférer de ce qui précède et d’une foultitude d’autres faits avérés que la mauvaise réputation de l’industrie pharmaceutique n’est pas dénuée de tout fondement. Seul, un état ne fait souvent pas le poids face à ces géants industriels. Il faut, pour espérer orienter les prix et les recherches, des actions concertées des pouvoirs publics de plusieurs pays. C’est ce qui s’est passé pendant la guerre pour la production de pénicilline, et qui s’est en partie produit pour les vaccins.

Cette image dĂ©sastreuse a malheureusement impactĂ© tous les secteurs de la santĂ©, des pouvoirs publics, rĂ©putĂ©s complices des firmes pharmaceutiques, aux soignants qui sont au final suspectĂ©s d’être victimes d’une dĂ©sinformation orchestrĂ©e par ces dernières – comme s’ils n’avaient pas la jugeotte de s’abreuver Ă  des sources et publications de confiance… Quant aux patients mĂ©fiants, adhĂ©rents potentiels des thèses complotistes, ils peuvent très bien se servir de l’honneur perdu des marchands de pilules dorĂ©es.

Tragique défiance

La perte de confiance dans le système de santé fait des morts actuellement. Cette conséquence dramatique doit nous faire prendre conscience qu’il faut que notre combat pour une meilleure santé s’inscrive aussi dans un rapport mieux régulé avec l’industrie pharmaceutique.

Dr Lawrence Cuvelier