
L’UNION FAIT LA FORCE
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, vice-prĂ©sident du GBO, publiĂ© le 16/09/2022
On parle souvent de prise en charge. Le mot charge renvoie à du lourd. Mais, si on est bien équipé et plusieurs à porter …
Il y a environ 25 ans, une Anglaise revenait du Portugal. Fracassée par un mariage raté, ravagée par les violences conjugales, elle ne subsistait que grâce à des allocations de remplacement. On lui conseilla de se faire soigner par un généraliste. Celui-ci prit en charge sa dépression, ce qui permit à cette patiente de réaliser son rêve : écrire. Plusieurs éditeurs refusèrent son manuscrit qui racontait les aventures d’un orphelin du nom de Harry Potter. Inutile de préciser davantage ce qu’il en advint. Elle resta très reconnaissante à son médecin qui l’avait aidée à surmonter ses épreuves. Des histoires de ce genre, sans doute moins spectaculaires mais bien réelles, combien les généralistes n’en ont-ils pas à raconter ? Cela suscite deux réflexions.
Santé mentale, la honte ?
D’une part, on sait que la majorité des troubles de santé mentale sont pris en charge par des généralistes, bien que leur compétence en la matière soit rarement reconnue, si pas méprisée. Il y a sûrement un manque de confiance qui peut expliquer leur faible assertivité. Il se peut aussi que, dans la formation en tronc commun, jamais un généraliste expérimenté n’a pu expliquer ce qu’il faisait et que c’est par la lorgnette du spécialiste que les choses ont été enseignées, c’est à dire par un médecin qui voit une certaine catégorie de patient. En effet, dans le cas de la dépression, ce sont souvent les personnes issues de classes sociales favorisées qui sont à même de prendre conscience que c’est un problème de santé qu’il est normal de soigner, qu’il n’y a aucune honte à consulter un psy. A contrario, les patients de couches sociales moins favorisées n’aboutiront chez le spécialiste que dans des cas très sévères nécessitant l’hospitalisation. Autre aspect du problème, comme la formation peut être déficiente, il y a également des médecins qui ne se sentent pas armés pour prendre en charge ce type de pathologie et renvoient systématiquement à des confrères ou, pire, adoptent une attitude inadéquate et préjudiciable en se contentant de prescrire des tranquillisant ou en bombardant le patient de phrases stigmatisantes sur la volonté et le courage qui ne font que l’enfoncer.
Nous prônons toujours le meilleur soin au meilleur endroit, ce qui n’exclut pas les soins spécialisés mais qui promeut la coopération plutôt que la concurrence entre les lignes de soins et les différents intervenants.
Se confronter à la complexité, mais sans complexe
Autres réflexions sur les prises en charge en médecine générale, celles concernant la multimorbidité. Nous pouvons concevoir qu’une personne qui souffre de pathologies multiples fasse le désespoir du praticien, comme le malheureusement très fréquent cocktail cumulant l’hypertension, l’obésité, le problème rhumatologique, l’hypercholestérolémie et la dépression.
Que faire devant des situations aussi complexes ? Nos systèmes de santé privilégient la technique du saucissonnage, qui consiste à faire prendre en charge chaque pathologie séparément par les spécialistes adéquats. Cette attitude semble rationnelle puisqu’elle se base sur le postulat que celui qui en sait le plus sur une pathologie prodigue le meilleur soin. Un postulat qui ne résiste pas longtemps à l’épreuve de la réalité. On sait que 30% des diabétiques belges sont bien soignés, 30% le sont de façon approximative, et 40% pas du tout. On sait aussi que le niveau socio-économique est le déterminant le plus puissant qui explique ces différences. Dans la mesure où le patient peut percevoir les enjeux d’un bon soin, souvent en fonction de son éducation et son équilibre psychologique, il sera plus à même de gérer une situation complexe. Dans le cas présenté, il faut choisir un objectif prioritaire, en postulant que l’amélioration d’un facteur sera déclencheur d’autres améliorations. Si vous prenez le parti d’envoyer ce patient chez le diététicien en tablant sur l’amélioration des autres facteurs de risque par un effet domino, il y a des chances qu’il vous dise qu’il a déjà essayé sans succès. Par contre si vous vous rendez compte que le patient est triste, qu’il ne sort plus, c’est peut-être soigner sa dépression qui sera l’angle d’attaque prioritaire, le bon bout des dominos, l’action préférentielle permettant d’avancer sur les autres points. Cette approche centrée sur le patient n’a rien d’un fantasme militant, elle est rigoureusement démontrée par des études scientifiques*.
Coopération versus concurrence
Bien sûr, ce n’est pas le généraliste tout seul qui peut être le levier de ces changements. Il faut envisager la santé comme un état de bien-être qui recouvre non seulement les sphères physiques et psychiques mais aussi le confort affectif, social, l’utilité d’une personne, ses besoins spirituels. En prenant en compte tous les facteurs de la multimorbidité, travailler en pluridisciplinarité devient une évidence, et pas seulement entre professionnels mais aussi avec une série d’interlocuteurs comme la famille, le voisin, l’aidant, les services sociaux. Le médecin généraliste n’est pas forcément l’élément central de la prise en charge, cela peut être aussi bien le conjoint, l’infirmière ou l’oncologue mais il joue un rôle essentiel. Nous prônons toujours le meilleur soin au meilleur endroit, ce qui n’exclut pas les soins spécialisés mais qui promeut la coopération plutôt que la concurrence entre les lignes de soins et les différents intervenants.
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Dr Lawrence Cuvelier
* Voir à ce propos le petit ouvrage, la multimorbidité, une nouvelle conception du soin édité par la société française de médecine générale (SFMG) / collection plaisir de comprendre par Pascal Clerc, Juline Le breton et collaborateurs.