AUTOUR D’UN BOCAL

Dr Lawrence Cuvelier

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Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-Président du GBO/Cartel, publié le 27/01/2023.

L’heure est grave : alors que deux scandales de corruption impactent les parlements wallon et européen, alors que des mouvements populistes menacent nos démocraties, alors que les personnes les plus défavorisées ne peuvent plus accéder aux soins ni payer leurs factures d’énergie, le parlement wallon a pris une décision capitale pour notre avenir : l’interdiction des bocaux pour poisson rouge.

Il ne suffit pas, avec nos amis les poissons rouges, de trouver ahurissantes les préoccupations du temple wallon de la démocratie, il faut surtout s’inquiéter des dérives de cette démocratie et, plutôt que légiférer sur les bocaux, se poser la question des lieux de pouvoir, parfois trop concentrés et toujours trop loin des regards indiscrets et s’interroger sur ces structures qui laissent le champ libre aux agissements plus que douteux d’individus sans scrupules tels le futur ex-secrétaire du Parlement, une sorte de Louis de Funès obséquieux avec les puissants et odieux avec ceux qu’il commande.

Les rouages de la santé publique sont encore infiniment plus complexes avec un morcellement des compétences invraisemblables, digne du pays de Magritte, et des nuées d’intervenants tantôt légitimes, tantôt obscurs et secrets. Si la santé n’a pas de prix, elle a un coût et pour en décider, la table de négociations met en présence ceux qui paient – les travailleurs et les employeurs -, ceux qui répartissent l’argent – l’état et les mutuelles -, ainsi que les prestataires de soins représentés pour les médecins par les syndicats médicaux (1).

À la question souvent teintée d’agressivité “que font les syndicats ?”, je répondrais : “ce qu’ils peuvent”, et ce n’est pas toujours facile, surtout quand certains n’hésitent pas à utiliser le mensonge, mais nous n’arrivons jamais à des dérives telles que celles dénoncées au niveau des parlements wallon et européen.

Les négociations qui rentrent dans le cadre de l’assurance obligatoire de santé, concernent les soins curatifs au niveau fédéral, les autres types de soins sont délégués aux communautés et aux régions. Chaque groupe participant a pour mission non seulement de défendre l’intérêt de ceux qu’il représente mais aussi d’arriver ensemble à un compromis pour des soins performants. On peut critiquer cette manière de faire mais il faut se féliciter que pouvoirs et contre-pouvoirs s’équilibrent. À la question souvent teintée d’agressivité “que font les syndicats ?”, je répondrais : “ce qu’ils peuvent”, et ce n’est pas toujours facile, surtout quand certains n’hésitent pas à utiliser le mensonge, mais nous n’arrivons jamais à des dérives telles que celles dénoncées au niveau des parlements wallon et européen.

Individus douteux et intérêt collectif

Il est important que les assemblées élues puissent débattre des vraies questions de société dans lesquelles tout citoyen éclairé a son mot à dire. Depuis quelques années, la transmission des données de santé fait débat, et la transparence de la prise de décision a été remise en question, notamment par des personnes travaillant au sein de l’autorité de protection des données. Après une dénonciation vigoureuse de l’incompatibilité entre le rôle exécutif confié à la banque carrefour et le rôle de contrôle, où de manière incohérente on retrouve certaines personnes déjà membres de la partie « exécutif », le parlement fédéral a été prié d’arbitrer le conflit. Les résultats furent décevants. Il existe peut-être une trop grande proximité entre les responsables de partis et les responsables dans ce dossier. C’est la grande faiblesse de nos démocraties parlementaires dans lesquelles les questions essentielles ne sont pas correctement débattues parce que la discussion remettrait en cause la légitimité du pouvoir exécutif (le gouvernement) et parce qu’il existe une trop grande perméabilité de nos élus à des influenceurs.

En ce qui concerne la santé, quand il s’est agi d’enjeu vital, nos autorités ont su faire preuve de maturité et prendre en compte l’intérêt collectif. Mais il y a peu de praticiens qui soient convaincus que le morcellement du pouvoir avec nos 8 ministres (de la santé ou ayant des compétences en santé) soit d’une quelconque utilité, en sachant que la promotion de la santé est du ressort de la communauté française tandis que la prévention ressort des régions. On comprend dès lors que l’interdiction des bocaux pour poisson rouge fasse l’objet de l’attention bienveillante de nos élus.

Le dossier médical du généraliste, objet de tous les fantasmes

Depuis des années, la transmissions des données médicales est le sujet d’âpres polémiques, quant à son partage : à qui doit-il être transmis et avec qui peut-il être partagé ? Est-ce que le dossier unique partagé est une solution entre professionnels seulement ? Et cetera. Inutile de rentrer ici dans les détails de cette polémique qui prendrait bien des heures à être détaillée mais il faut rappeler une vérité : un dossier médical ne constitue pas une vérité infaillible, loin de là :

  • toutes les données ne s’y trouvent pas
  • on y tient essentiellement compte des données codifiées, ce qui est très frustrant car beaucoup de nuances ne s’y retrouvent pas
  • un dossier médical n’est jamais qu’un résumé d’un contact humain dans lequel des choses pourtant essentielles ne peuvent être retranscrites
  • il y a des erreurs dans la plupart des dossiers médicaux, par exemple les traces d’un diagnostic erroné
  • la transmission des données comporte des avantages mais aussi des risques pour le patient

Il est probable que se cacher derrière les bocaux de poissons rouges ne permettra pas d’éluder longtemps ces questionnements.

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Dr Lawrence Cuvelier


(1) La loi a établi que les syndicats médicaux devaient représenter les généralistes et des spécialistes et être issus d’au moins deux régions de manières significatives Ce qui explique que AADM, le syndicat des généralistes flamands, ne pourra plus se représenter.