
Accord gouvernemental :
quelle collaboration avec les pharmaciens ? (#2)
Flash-info 23/25, publié le 09/04/2025
Sous cette lĂ©gislature (1), le gouvernement fĂ©dĂ©ral compte bien moderniser et assouplir la Loi relative Ă lâexercice des professions de soins de santĂ© (LEPS) dans le but de permettre un accĂšs suffisant aux soins en renforçant la coopĂ©ration et la dĂ©lĂ©gation des tĂąches entre les diffĂ©rents prestataires de soins de santĂ©. Si cette rĂ©forme entend bien faire travailler les professionnels en fonction de leurs compĂ©tences, elle compte Ă©galement permettre Ă certains professionnels de la santĂ© (kinĂ©sithĂ©rapeutes, sage-femmes, infirmiers et pharmaciens) dâen acquĂ©rir de nouvelles et libĂ©rer de la place pour de nouveaux profils dans notre systĂšme de santĂ© (infirmiers de pratique avancĂ©e, assistants de pratique, etc.) en mettant en place un modĂšle au sein duquel « la dĂ©marcation entre les professions est plus souple ». Au risque dâaugmenter le flou concernant les missions de chaque profession et le « dĂ©shabillage » des gĂ©nĂ©ralistes de leurs compĂ©tences spĂ©cifiques ?
Dans le cadre de lâexercice de diffĂ©renciation des tĂąches, le Ministre Vandenbroucke a demandĂ© au Conseil SupĂ©rieur des MĂ©decins spĂ©cialistes et gĂ©nĂ©ralistes (CSMSMG) et au Conseil fĂ©dĂ©ral des pharmaciens de lui remettre leurs avis sur lâĂ©largissement des compĂ©tences des pharmaciens. Le CSMSMG a donc créé le Groupe de travail (GT) « Expansion of Pharmacists’ Competencies », composĂ© des reprĂ©sentants des mĂ©decins et pharmaciens, pour mener Ă bien cette rĂ©flexion sur les possibilitĂ©s et/ou opportunitĂ©s dâune extension des compĂ©tences des pharmaciens en renforçant leur rĂŽle dans la prĂ©vention, la vaccination et dâĂ©ventuels autres rĂŽles Ă dĂ©velopper. Le GBO/Cartel a bien entendu Ă©tĂ© sollicitĂ© pour intĂ©grer ce GT et a rendu un avis circonstanciĂ© sur ces questions, dont vous trouverez un rĂ©sumĂ© ci-dessous.
En bref, quelle est la position du GBO/Cartel ?
La pĂ©nurie de gĂ©nĂ©ralistes ne doit pas ĂȘtre le moteur principal de lâintensification de la collaboration entre pharmacien et mĂ©decin gĂ©nĂ©raliste (MG). Il est erronĂ© dâinstaurer un traitement (qui ne serait que palliatif) de la pĂ©nurie des gĂ©nĂ©ralistes par un partage de tĂąches vers le secteur, partiellement marchand, de la pharmacie. Ălargir la capacitĂ© d’action des pharmaciens via un tel partage de tĂąches ferait en effet Ă©voluer la situation de façon unidirectionnelle, sans travailler le partage des tĂąches de maniĂšre globale au sein de la 1er ligne et entre les lignes de soins.
Si garantir un accĂšs aisĂ© aux soins de santĂ© met en exergue l’importance du binĂŽme MG-pharmacien, la dĂ©marche du GBO/Cartel est donc plutĂŽt de repenser de maniĂšre globale l’efficacitĂ© et la dynamique de ce binĂŽme, avec un recentrage sur la mĂ©decine gĂ©nĂ©rale.
Pour que ce binĂŽme fonctionne, il est indispensable donc de permettre aux deux professions de communiquer efficacement autour et avec le patient, dans le respect des missions de chaque profession et lâabsence de conflit dâintĂ©rĂȘt de type marchand.
Permettre aux pharmaciens de mener de maniĂšre autonome des actions ciblĂ©es nĂ©cessite des principes absolus Ă respecter : pas de prescription de traitements, en particulier antibiotique, aprĂšs dĂ©pistage par le pharmacien, pas dâexamen clinique par le pharmacien, pas dâannonce de mauvaises nouvelles par le pharmacien et donc pas de test qui peut amener Ă la mauvaise nouvelle.
Une nĂ©cessitĂ©, corollaire Ă cet accord de collaboration, est lâobtention du financement de la consultation longue pour les MG. Si des actes courts et simples sont transfĂ©rĂ©s et effectuĂ©s par les pharmaciens, le risque est bien rĂ©el de voir les cabinets de MG essentiellement consultĂ©s pour des cas complexes demandant du temps, celui-ci insuffisamment financĂ© par les tarifs actuels de la convention mĂ©dico-mutualiste.
Le GBO/Cartel se positionne trĂšs clairement dans une dĂ©marche de collaboration harmonieuse entre les deux professions mais insiste sur lâimportance dâinscrire le dĂ©bat du partage/transfert/dĂ©lĂ©gation des tĂąches respectueux des rĂ©fĂ©rentiels-mĂ©tiers de chacun :
- au sein de toute la 1re ligne (kinĂ©sithĂ©rapeutes, psychologues, sage-femmes, infirmiers, Ă©ducateurs et pharmaciens, …), dans une cohĂ©rence dans la durĂ©e et la globalitĂ©, entre prestataires indĂ©pendants ou travaillant au sein des pratiques de mĂ©decine gĂ©nĂ©rale (ex. : il serait dommage que les pharmaciens deviennent concurrents des infirmiers de pratique nouvellement installĂ©s).
- entre les lignes de soins: les 2es et 3es lignes doivent aussi ĂȘtre intĂ©grĂ©es en parallĂšle dans ce dĂ©bat pour permettre de restituer aux gĂ©nĂ©ralistes les tĂąches de mĂ©decine gĂ©nĂ©rale effectuĂ©es par les mĂ©decins spĂ©cialistes et rendre ceux-ci plus disponibles aux missions de soins qui demandent leur expertise pointue. Ceci est une condition importante pour avancer dans ce dĂ©bat !
Quelle collaboration avec les pharmaciens ?
La dĂ©marche du GBO/Cartel est de renforcer le binĂŽme MG-pharmacien au service de la santĂ© individuelle des patients et de la santĂ© publique, en prĂ©cisant et respectant le rĂ©fĂ©rentiel-mĂ©tier de chaque profession. Dans ce contexte, certaines principes doivent ĂȘtre prĂ©servĂ©s :
- Collaborer et dĂ©lĂ©guer/partager/transfĂ©rer doit se faire dans un cadre clair des missions de chacun avec un recentrage sur la MG en organisant une subsidiaritĂ© de soins intelligente. Il est nĂ©cessaire que chaque patient ait un MG et un pharmacien de rĂ©fĂ©rence. La solution Ă la pĂ©nurie des uns ne peut ĂȘtre lâĂ©largissement des compĂ©tences des autres sâil nây a pas un gain en santĂ© individuelle ou publique.
- Exigence de non-marchandisation des soins : organiser un transfert de tĂąches non marchandes vers un secteur partiellement marchand est une erreur fondamentale. Ă ce titre, prescrire et dĂ©livrer les mĂ©dicaments ne peuvent se faire par le mĂȘme prestataire. Au mĂȘme titre que les mĂ©decins nâont pas le droit de dĂ©livrer/vendre des mĂ©dicaments pour Ă©viter un conflit dâintĂ©rĂȘt, lâabsence de conflit dâintĂ©rĂȘt devra ĂȘtre une condition absolue Ă une extension des prĂ©rogatives des pharmaciens.
- La mission premiĂšre du pharmacien, qui doit rester la principale, est la rĂ©vision de mĂ©dication. Le GBO/Cartel sâinscrit pleinement dans cette collaboration pour diminuer les âdrug related problemsâ liĂ©s au vieillissement de la population et Ă la complexification des traitements chroniques. Il faut promouvoir chez les pharmaciens les moyens qui assureront la rĂ©duction des problĂšmes liĂ©s aux mĂ©dicaments, la meilleure comprĂ©hension et la meilleure adhĂ©sion des patients aux traitements :
- Les donnĂ©es de santĂ© peuvent ĂȘtre partagĂ©es selon un principe de proportionnalité : si âlâintention thĂ©rapeutiqueâ peut ĂȘtre partagĂ©e avec les pharmaciens quand le mĂ©decin le juge nĂ©cessaire, il est par contre exclu de donner accĂšs au contenu du dossier mĂ©dical global (DMG) !
- Optimiser la communication entre pharmaciens et médecins doit se faire via des canaux de communication adéquats et sécurisés, e.a. par le dossier pharmaceutique partagé.
- Le travail « au comptoir » doit ĂȘtre bien rĂ©glementé : la prescription dâantibiotiques, lâexamen clinique, lâannonce de mauvaises nouvelles (que ne manqueront pas dâengendrer certains tests de dĂ©tection prĂ©coce) doivent ĂȘtre rĂ©servĂ©s aux mĂ©decins. Lâorientation des patients par le pharmacien doit ĂȘtre faite prĂ©fĂ©rentiellement vers le MG pour Ă©viter lâintensification du by-pass de la 1re Le renouvellement autonome de dĂ©livrance de mĂ©dicaments peut se faire si et seulement sâil y a garantie de lâĂ©tablissement du cadre de collaboration avec le MG.
- Le dĂ©pistage et rĂŽle prĂ©ventif des pharmaciens : la dĂ©tection prĂ©coce de maladie par le pharmacien ne peut aucunement aboutir Ă la prescription de traitements (remboursĂ©s). Lâexamen clinique doit rester lâapanage du mĂ©decin, et les gestes diagnostiques et d’Ă©ducation Ă la santĂ© doivent ĂȘtre encadrĂ©s dans une perspective globale de soins en accord avec le MG. La dĂ©tection prĂ©coce doit Ă©viter lâĂ©cueil du surdiagnostic (ex. : dĂ©termination du taux de cholestĂ©rol non utile pour tous). Les MG ambitionnent de dĂ©velopper le principe de prĂ©vention quaternaire pour tenter de rĂ©duire la surmĂ©dicalisation. Les pharmaciens doivent sâinscrire dans cette mĂȘme dynamique.
- La vaccination peut se faire conjointement par les MG et les pharmaciens en temps de crise, accompagnĂ©e obligatoirement d’un encodage centralisĂ© et consultable immĂ©diatement par les deux professions. La vaccination de base doit ĂȘtre rĂ©servĂ©e Ă lâONE, Ă la mĂ©decine scolaire et aux MG pour assurer les gestes prĂ©ventifs utiles et lâindispensable suivi global, centralisĂ© et dans la durĂ©e, spĂ©cifique Ă lâONE et Ă la MG dans lâintĂ©rĂȘt de la santĂ© individuelle et collective.
- La responsabilitĂ© sociale en santĂ© des deux professions doit ĂȘtre reconnu et lâintensification de la collaboration entre pharmaciens et mĂ©decins doit se faire dans le respect des missions de chaque profession. Et cela particuliĂšrement en temps de crise.
Plusieurs de nos rĂ©flexions sont inspirĂ©es, e.a., de cette Ă©tude : « Optimiser la collaboration entre les mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes et les pharmaciens : Ătude qualitative auprĂšs de pharmaciens dâofficine dans le Brabant Wallon » – Charlotte Fayt – Master complĂ©mentaire en mĂ©decine gĂ©nĂ©rale, UCLouvain, AnnĂ©e acadĂ©mique 2022-2023 , Promotrice : Dr. Lise-Laure Fouarge
(1) Cf. p. 112 de lâAccord de coalition fĂ©dĂ©rale 2025-2029 :
UN ACCĂS SUFFISANT AUX SOINS (ndlr : Ă©lĂ©ments soulignĂ©s par nos soins).
« …il doit ĂȘtre plus facile de recruter du personnel dâappui ainsi que dâintĂ©grer les soins dans des Ă©quipes de soins structurĂ©es, sur la base des compĂ©tences de chaque membre de lâĂ©quipe, avec les garanties nĂ©cessaires en termes de sĂ©curitĂ© des patients et de qualitĂ© des soins. Ă cette fin, la loi relative Ă lâexercice des professions de soins de santĂ© sera modernisĂ©e et assouplie. Nous introduisons plus de flexibilitĂ© afin que les prestataires de soins de santĂ© puissent coopĂ©rer et dĂ©lĂ©guer plus facilement. Nous nous efforcerons au maximum de mettre en place un modĂšle de coopĂ©ration dans lequel chaque prestataire peut travailler autant que possible en fonction de ses compĂ©tences, oĂč il est possible dâacquĂ©rir de nouvelles compĂ©tences et oĂč, aprĂšs concertation avec les prestataires de soins, la dĂ©marcation entre les professions est plus souple. En lâespĂšce, nous renforçons dĂ©libĂ©rĂ©ment les compĂ©tences des diffĂ©rents professionnels de la santĂ©, y compris les kinĂ©sithĂ©rapeutes, les sage–femmes et les pharmaciens, et nous libĂ©rons Ă©galement de la place pour de nouveaux profils dans notre systĂšme de santĂ©.
(câest nous qui soulignons)