
Les nouvelles mesures du gouvernement belge mettent-elles en péril l’indépendance des médecins généralistes et la qualité des soins ?
Analyse #1 : quid du plan global de prévention et de réinsertion des malades de longue durée ?
Flash-info 10/25, publié le 07/02/2025
Comme nous vous en faisions part dans notre Flash-info « Accord de gouvernement : les médecins généralistes entre espoir et inquiétude”, le GBO/Cartel souhaitait prendre le temps d’analyser avec attention et en détail le programme Arizonien. Nous vous livrons donc le premier volet de cette analyse de la déclaration gouvernementale 2025-2029. Celle-ci porte sur le chapitre « UN PLAN GLOBAL DE PRÉVENTION ET DE RÉINSERTION DES MALADES DE LONGUE DURÉE » (p. 20).
« La base de ce plan global est une responsabilisation accrue des 5 acteurs impliqués : les employeurs, les salariés, les médecins (médecins traitants, médecins du travail et médecins-conseils), les mutuelles et les services régionaux de l’emploi. »
Pour les plus pressés, en voici le résumé :
Le GBO/Cartel apprécie que la plateforme Trio attendue par la profession de longue date est enfin sur les rails. Mais nous nous interrogeons sur les garanties de préservation du secret professionnel et sur le financement prévu pour la participation du généraliste à cette triangulation.
Le gouvernement a décidé de restaurer pour le premier jour de maladie l’exigence d’un certificat pour tous, pas toujours utile médicalement et contraire à diminution promise de la surcharge administrative du généraliste ! Le GBO n’est donc favorable ni à l’allongement à plus d’un jour de la période autorisée sans certificat, revendication des Jong Domus Medica, ni au retour en arrière de l’obligation du certificat pour le premier jour.
La création d’un certificat d’aptitude à la place d’un certificat d’incapacité, dans certains cas, rédigé par le généraliste, facultatif et en collaboration avec le médecin du travail, n’est pas conforme aux outils et rôles des généralistes. La complémentarité souhaitée entre médecin généraliste, médecin du travail et médecin conseil ne peut se faire que par définition claire des rôles. Par ailleurs, la communication du Dossier médical global (résumé de toutes les pathologies dont souffre le patient) est exigée. Les MG refusent de répondre à cette exigence. Seules les pathologies concernant les évènements vécus par le travailleur justifiant le certificat ne pourront être communiquées. Le DMG ne peut être accessible qu’aux médecins ayant mission de soins !
Des profils seront effectués concernant les prescriptions de certificats d’incapacité, du même ordre que ceux pour les prescriptions médicamenteuses. Ceux-ci permettront aux médecins d’évaluer leur pratiques entre pairs. Mais cela ne rencontrera l’adhésion de la profession que s’il y a une séparation claire entre l’évaluation (démarche de la carotte) et la sanction (démarche du bâton) avec un fonctionnement régulier des institutions.
Le GBO/Cartel insiste pour que le Service d’évaluation et de contrôle médical SECM redevienne un Service de contrôle médical SCM et que l’évaluation soit confiée à la commission des profils et/ou à une chambre évaluative du CNPQ (Commission Nationale de Promotion de la Qualité).
Le GBO/Cartel s’inquiète en effet des mesures de pénalisation des médecins qui mettraient trop d’incapacités de longue durée. Ces mesures risquent de pénaliser les médecins qui ont le courage de travailler dans des zones de précarité, là où les personnes dans des situations de travail délétères et précaires et qui ont besoin de la protection du certificat. Le risque est grand d’un désengagement de ces prestataires vis à vis de ces patients en grandes difficultés et d’une perte de confiance des patients dans des prestataires mis en porte à faux vis à vis d’eux.
Par ailleurs, le GBO/Cartel apprécie l’effort promis de détection et de sanction des médecins qui abusent volontairement du système de protection sociale. Sans mettre le discrédit sur toute la profession.
Par ailleurs, la profession médicale se doit d’intensifier son engagement à prendre ses responsabilités en étoffant ses formations initiales et continues concernant la légitimité médicale des incapacités prescrites et notamment le sens de leurs responsabilités selon le concept de responsabilité sociale en santé. Ainsi que ses formations concernant l’utilisation correcte du système TRIO, tant d’un point de vue déontologique que technique et pratique.
Pour aller plus loin :
§ LES EMPLOYEURS
« Le médecin traitant communique, après un mois d’incapacité de travail, le certificat d’incapacité de travail via la plateforme TRIO au conseiller en prévention- médecin du travail, au médecin-conseil et à d’autres acteurs ayant accès à la plateforme TRIO. De cette manière, le conseiller en prévention-médecin du travail obtient directement des informations sur l’existence de l’incapacité de travail ainsi que sur la nature du problème de santé. » (texte souligné par nos soins).
Questionnement du GBO : qui a réellement accès à la plateforme TRIO ? Les médecins généralistes doivent être absolument sûrs de la préservation du secret médical au sein de ce TRIO. Malgré le projet de mise en place du Data Project Officer au sein de l’INAMI, serons-nous certains du cloisonnement étanche entre équipes médicales et employeurs ? Qui sont les autres acteurs non médicaux qui ont accès à la plateforme TRIO ? Quel que soit leur statut, ils n’ont nullement besoin de disposer des données médicales pour pouvoir assumer leur rôle dans le processus de réintégration. Ils doivent prendre connaissances des limites de l’employabilité d’une personne (ex : pas de charge sur le genou droit durant trois mois, ils ne doivent pas savoir si c’est à cause d’une bursite ou d’une intervention pour une rupture du ligament croisé…).
Par ailleurs, nous préconisons un code particulier pour la contribution du médecin traitant à cette triangulation.
§ LES TRAVAILLEURS SALARIÉS
« Dans le cadre d’une politique de lutte contre l’absentéisme, la possibilité de prendre un jour de maladie jusqu’à trois fois par an sans certificat médical sera supprimée. »
Commentaire : le GBO insiste sur la nécessité de diminuer la charge administrative inutile sur les généralistes. Il n’est pas toujours nécessaire d’examiner un patient au premier jour de sa maladie. Par contre, il est primordial de l’examiner si cela perdure. Ce contact permet alors la prévention des problèmes de santé plus importants par le biais de soins rapidement donnés pour éviter finalement des absences plus longues. Le GBO n’est donc favorable ni à l’allongement à plus d’un jour de la période autorisée sans certificat, revendication des Jong Domus Medica, ni au retour en arrière de l’obligation du certificat pour le premier jour.
§ LES MÉDECINS TRAITANTS
« Les médecins traitants examinent désormais la possibilité d’un travail adapté ou différent lors de la rédaction ou de la prolongation du certificat médical ou d’un certificat d’incapacité de travail. À cette fin, dans certains cas, nous transformons le certificat médical en un certificat d’aptitude (ou « fit note ») dans lequel le médecin peut, de manière facultative, indiquer ce que le travailleur malade peut encore faire pendant la période de maladie. Le médecin traitant peut consulter le médecin du travail sur le contenu de la « fit note ». Ce dernier peut évaluer les possibilités concrètes d’un travail adapté ou différent dans l’entreprise concernée. Dans ce cas, cette suggestion sera partagée avec les autres médecins via la plateforme TRIO et, si nécessaire, discutée. »
Commentaire : Les rôles de chacun doivent être clairs et correspondant à leurs formation et compétences. Nous apprécions le caractère facultatif du certificat d’aptitude pour deux raisons. D’un part, le médecin généraliste doit décider si le patient est capable de travailler dans une période donnée en fonction de ce qu’il sait de son état de santé et des exigences de son travail. Il ne possède pas les outils du médecin du travail de l’entreprise pour juger des capacités du travailleur spécifiquement sur le lieu du travail et déterminer les tâches qu’il peut encore effectuer. C’est le rôle du médecin du travail qui tient compte du certificat médical délivré par le médecin traitant. Le médecin-conseil de la mutuelle a la mission d’approuver le certificat médical du médecin traitant, si le travailleur est en ITT longue.
D’autre part, la généralisation du certificat d’aptitude induirait un changement de paradigme pour le médecin généraliste : le certificat d’incapacité de travail fait partie intégrante de l’arsenal thérapeutique à disposition du médecin car il s’agit d’un traitement à part entière du patient, et non d’un outil permettant à l’employeur de savoir ce qu’il peut/doit faire avec son employé.
« En cas d’incapacité de travail de plus de deux mois, le rôle de « médecin traitant responsable » est créé. Ce médecin joue un rôle de coordination dans le suivi et l’accompagnement des patients en incapacité de travail de longue durée et sert de premier point de contact pour la communication avec le médecin-conseil et le médecin du travail. Idéalement, il s’agit du médecin généraliste, mais si souhaité, ce rôle peut être transféré à un spécialiste. Ce « médecin traitant responsable » fournit un Dossier Médical Global pour chaque patient pour lequel il soumet un certificat d’incapacité de travail ou une prolongation pour une période totale de plus de deux mois. »
Commentaire : La communication des données ne peut être que proportionnelle à la problématique du moment. Il est exclu que nous donnions toutes les données contenues dans le DMG. D’autant plus que le DMG ne peut être accessible qu’à un prestataire qui a une fonction de soins vis à vis du patient.
« Sur la base du datamining, les médecins qui prescrivent des périodes d’incapacité nettement plus nombreuses et/ou plus longues sont suivis, abordés et responsabilisés financièrement en ce qui concerne leur manière de prescrire. Les données nécessaires sont collectées à cet effet, notamment auprès des secrétariats sociaux. Nous mettons l’accent sur des outils d’autogestion pour les médecins, en leur permettant de comparer leur comportement de prescription avec des « standards » fondés sur des bases scientifiques et avec le comportement de prescription de leurs confrères dans la même région. »
« Pour les employeurs, un point de signalement électronique pour les certificats médicaux suspects et les attestations d’incapacité de travail sera mis en place au sein du SIRS. Les sanctions à l’encontre des médecins qui délivrent des certificats médicaux frauduleux seront renforcées en concertation avec l’ordre des médecins. »
Commentaire : nous apprécions le souci du gouvernement de détecter les médecins qui volontairement abusent du système de protection sociale et de les sanctionner, en évitant de mettre le discrédit sur toute la profession.
Par contre, le GBO s’inquiète de la mise en place d’un suivi algorithmique des prescriptions d’incapacité via le datamining, qui pourrait entraîner des sanctions financières pour les médecins dont la pratique ne correspondrait pas aux standards administratifs imposés.
Nous pouvons accepter un suivi sur la même base que celle des profils de prescription médicamenteuse (comparaison avec les autres médecins de la région…) pour donner aux médecins un outil d’évaluation de leur pratique entre pairs. Nous refusons une responsabilité financière pour les prescripteurs de certificats nettement plus nombreux et/ou plus longs. Il est des patientèles spécifiques (exemple: prise en charge plus fréquente de soins palliatifs, accumulation de cas de détresse psychologique par une approche plus attentive aux problèmes de santé mentale) ou plus défavorisées, dans des quartiers appauvris, désindustrialisés par un capitalisme trop peu régulé par les Politiques. Il est exclu de faire porter la charge sur ces médecins qui ont le courage d’accompagner ces patients, alors qu’ils devraient être particulièrement soutenus. Le risque est grand d’un désengagement de ces prestataires vis à vis de ces patients en grandes difficultés et d’une perte de confiance entre le patient et son médecin traitant qui est mis en porte-à-faux vis à vis de ceux qu’il soigne.
Par ailleurs, le certificat médical s’inscrit dans une connaissance intime du patient dans sa dimension bio-psycho-sociale et environnementale. Un même diagnostic peut conduire à des certificats fort différents selon les contextes. Nous tenons à préciser que nous rencontrons aussi beaucoup de présentéisme volontaire malgré des risques encourus par les travailleurs et leur entourage.
Le GBO insiste : Il est essentiel de séparer les fonctions d’évaluation des fonctions de contrôle malencontreusement réunies. L’évaluation est une fonction positive qui cherche à valoriser les médecins tout en signalant les zones d’amélioration possible. Le contrôle est une fonction négative qui sanctionne les manquements en vue de les voir disparaître. Le même service ne peut à la fois manier la carotte et le bâton.
Il faut donc débaptiser le SeCM (Service d’Évaluation et de Contrôle Médical) et le reconduire vers un pur SCM (Service de Contrôle Médical), tandis que la fonction évaluatrice doit être confiée à la commission des profils et/ou à une chambre évaluative du CNPQ (Commission Nationale de Promotion de la Qualité). Nous continuerons d’avoir des problèmes et des difficultés de consensus avec la profession tant que nous ne serons pas revenus à un fonctionnement régulier des institutions.
Par ailleurs, la profession médicale doit intensifier son engagement à prendre ses responsabilités en étoffant ses formations initiales et continues concernant la légitimité médicale des incapacités prescrites et notamment le sens de leurs responsabilités selon le concept de responsabilité sociale en santé. Ainsi que ses formations concernant l’utilisation correcte du système TRIO, tant d’un point de vue déontologique que technique et pratique.
Par ailleurs, nous apprécions que la déclaration gouvernementale ait décidé de la fin de « l’épargne » de jours de maladie pour les fonctionnaires. Cela permet au médecin de ne pas devoir refuser ce que par ailleurs l’État semblait accorder de facto !
Question : concernant la notion de responsabilité financière : que contient-elle ? Qui détermine son contenu ? Comment est-elle appliquée ?