Généraliste ? « Ce n’est plus du tout le métier qu’on connaissait »
LE SOIR du 05/10/2020
CORONAVIRUS
LUDIVINE PONCIAU
Testing, quarantaine, téléconsultation : certains médecins ont le sentiment d’être devenus des téléopérateurs. Témoignages.
Overbookés, délaissés, excédés… Les médecins saturent. Plus habitués à recueillir les plaintes de leurs patients qu’à exprimer leurs propres difficultés, les généralistes sont pourtant lassés de jouer les plombiers et de colmater les fuites dans la tuyauterie des soins de santé.
Que ce soit en Région bruxelloise, où le nombre d’infections explose, ou en Wallonie où il continue à jouer un rôle dans le lien social, le médecin de famille est depuis le début de la crise sanitaire confronté à de nouvelles difficultés dans son travail. Des tâches administratives liées à la téléconsultation, au testing ou aux mises en quarantaine qui obligent les médecins à modifier leur pratique habituelle, comme l’expose le Dr Tanguy de Thier (GBO), généraliste au centre médical MediCi, à Ciney, enseignant à l’Université de Namur et maître de stage.
« Beaucoup de médecins se sont retranchés dans les centres de tri. C’est toujours lui qui rédige le formulaire de demande mais c’est l’infirmière du centre de tri qui se charge du volet administratif. » Une procédure qui, sur papier, limite l’intervention du généraliste mais qui, dans les faits, peut paradoxalement les multiplier. Il n’est pas rare en effet qu’après avoir pris l’appel du patient et rédigé la demande de test, la personne revienne vers lui parce qu’elle s’inquiète de ne pas avoir reçu les résultats. Lorsque ceux-ci sont connus, il incombe encore au médecin d’informer son patient des recommandations, de répondre à ses interrogations, voire de le rassurer. « Au final, je préfère encore tout gérer d’ici avec l’aide d’une infirmière », déclare celui qui est également membre du GBO, le syndicat des généralistes. Au centre médical MediCi, seuls les résultats positifs au test Covid sont communiqués par le médecin, la secrétaire médicale se chargeant d’appeler les patients non infectés.
Au menu de sa journée : frottis, téléconsultations, envoi d’ordonnances par mail et huit patients à rappeler. « Ou plutôt les huit que je devais rappeler hier plus les quatre qui ont déjà appelé ce matin », précise-t-il en pointant son écran où s’affiche un planning tout en code couleur qui ne doit pas être beaucoup moins chargé qu’un ministre de la Santé. « J’imagine à quel point le médecin qui n’a pas de secrétaire doit ramer… »
Cette lourdeur administrative qui pèse sur le quotidien des généralistes, Joana Antunes Madeira, étudiante en dernière année de spécialisation et qui assure des consultations à la maison médicale Enseignement dans le centre de Bruxelles, l’a aussi constatée.
« Au quotidien, on filtre les plaintes pour éviter de faire venir des patients pour lesquels il y a un risque de contamination. Les appels Covid sont donc traités par téléphone. Au cours de la journée, on doit donc gérer en parallèle les plaintes Covid et les patients non Covid. Pour un rendez-vous physique, on prévoit 30 minutes, 20 pour la consultation et 10 pour tout nettoyer et appeler un ou deux patients en plus. S’ils ne répondent pas à ce moment-là, il faut les rappeler plus tard, ou bien c’est eux qui le font. »
« Avec le confinement », poursuit la jeune médecin, « les gens ont pris l’habitude d’appeler directement leur médecin pour des plaintes non Covid plutôt que de prendre rendez-vous et ça se termine en consultation par téléphone. Ils ont encore très peur de venir au cabinet. Il y a un petit côté central téléphonique… Il est vrai que l’accueil gère pas mal de demandes mais au final, on doit quand même rappeler les patients. »
Impliquer les infirmières à domicile
Comme son confrère cinacien, le Dr Antunes Madeira consacre une partie de sa journée à informer et à rassurer sa patientèle. D’autant que dans cette maison médicale, tous les tests, qu’ils soient positifs ou négatifs, sont annoncés par le médecin. « Les patients veulent avoir le médecin au bout du fil, ce qui est normal. Par ailleurs, la personne qui travaille à l’accueil n’a pas forcément le droit de voir ces données privées. Le secret médical est déjà mis à mal dans cette crise : on doit rester attentif à cela quand on rédige un certificat médical ou qu’on laisse un message sur une boîte vocale. »
À ces (r)appels s’ajoutent les certificats de quarantaine à délivrer aux patients qui ont eu un comportement à risque ou qui reviennent de zone rouge ou orange. « On transmet aux gens la liste des lieux de testing. Mais comme il arrive qu’il faille attendre cinq ou six jours pour recevoir les résultats, ils nous rappellent pour savoir où ça en est. »
Ce que le patient ignore souvent, c’est qu’il peut consulter lui-même les résultats de son test Covid sur la plateforme « masanté.belgique.be ». Il suffit de se connecter avec sa carte d’identité pour avoir accès à son dossier médical en ligne. Sauf que, constate le Dr Antunes Madeira, une partie de la population n’a pas toujours accès au numérique. « Nombre de patients ne savent pas comment ça marche ou n’ont pas de lecteur pour pouvoir se connecter. On doit alors prendre le temps de sensibiliser et d’expliquer la procédure. Or à Bruxelles, on est en contact avec une population précarisée qui ne parle pas toujours le français. On doit alors effectuer nous-mêmes les démarches pour connaître les résultats. »
Booster l’informatisation
L’informatisation de la médecine mérite un petit coup d’accélérateur, abonde le Dr de Thier, « même si le fait de pouvoir envoyer des ordonnances électroniques directement au patient ou à la pharmacie nous aide quand même beaucoup ». Il plaide pour qu’un vrai dossier médical partagé, dans lequel les médecins spécialisés pourraient en deux clics informer le médecin de famille du fait qu’il a pris en charge son patient, soit mis en place. Mais pour inciter le spécialiste à mettre à jour ces données, il faut que ces actes soient valorisés.
Une partie de ces tâches – notamment liées au testing – nécessaires mais chronophages pourrait être assumée par d’autres acteurs des soins de première ligne, évaluent les Dr de Thier et Antunes Madeira. Le rôle des infirmières par exemple, pourrait être renforcé. « Un généraliste qui travaille seul pourrait par exemple solliciter une infirmière à domicile », propose Tanguy de Thier. « C’est ce qu’on a fait ici. Mais comme elles ne sont en principe pas payées pour ça, on a dû bricoler les modalités d’une collaboration et donner de notre poche. La crise a en tout cas montré la nécessité d’avoir dans les cabinets des assistants pratiques. Or, ces infirmières à domicile ont souvent un creux dans leur journée et seraient dès lors disponibles pour nous aider. »
« Si la médecine du travail et la médecine scolaire pouvaient assurer le testing de leur personnel plutôt que de renvoyer les personnes chez nous, ça nous soulagerait déjà beaucoup », formule le Dr Antunes Madeira. « Sinon ça devient vraiment compliqué quand un enfant est testé positif et que tout l’entourage vient se faire tester. D’autant qu’à côté de cela, on doit rédiger des certificats administratifs disant que l’enfant est apte à fréquenter les cours mais pas à se rendre à l’école. Ça alourdit la tâche. »
À Ciney, les médecins de la commune communiquent entre eux via un groupe Whatsapp. On y discute du nombre de cas, de fermetures de crèches et on s’échange des infos pratiques. Mais aucun véritable lien n’a par contre été noué avec les autorités communales, aucun canal d’information à l’échelon local n’a été créé. Ce que déplore le praticien.