De l’insulte comme réflexion politique

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-président du GBO/Cartel,
publié le 26/04/2024

Entre dysfonctionnements du système de santé et accusations de paresse, les généralistes ne vont tout-de-même pas baisser les bras !

Dans un royaume où des âtres des chaumières heureuses s’élèvent de sinueuses volutes de fumée vers les châteaux accueillants aux tours élancées brillant au soleil et couvertes d’oriflammes semant au vent des messages de paix, des dirigeants avisés se consacrent à combler les besoins du pays en leur allouant sans gaspillage les ressources produites par le joyeux labeur de tous. Le problème, c’est que ce tableau est parfois maculé par des estimations hasardeuses ou même des intérêts divergents. La politique de santé n’échappe pas à ces faiblesses, exposant les politiciens à moqueries et critiques stériles qui n’apportent aucune solution concrète et rongent la confiance dans les institutions. On peut néanmoins comprendre qu’un généraliste, confronté à la réalité, assommé de travail, magnétisé par le devoir de se comporter en surhomme et insulté, soit peu enclin à l’indulgence envers les politiques qui le représentent. À qui la faute si le poujadisme médical a encore de beaux jours devant lui ?

Ode au désert médical

Quand je parle d’intérêts divergents qui maculent les tableaux idylliques, je pense par exemple aux hôpitaux, grandes entreprises et fleurons d’une région, qui souffrent de difficultés structurelles à tenir la tête hors de l’eau en matière financière. Dans ce marasme, il ne faut pas demander à un responsable d’hôpital de faire du sentiment et de placer les besoins de santé de la population en tête de ses préoccupations. Et, comme un souci n’arrive jamais seul, les attentes inappropriées des usagers et les visions des politiques aggravent le problème car pour eux, l’hôpital joue le rôle principal et presque unique dans le système de santé, alors que le niveau de santé ne dépend ni des hôpitaux, ni même des médecins. Certes, on sauve des vies, on améliore la qualité de vie des malades, mais le recul de la morbi-mortalité dans nos pays dépend de nombreux autres facteurs, et comme dit Boris Cyrulnick dans son dernier livre*, il n’est pas rare de trouver des femmes de 65 ans avec un amant.

En Belgique, une politique de numerus clausus s’est mise en place pour des motifs qui interpellent : d’une part le préjugé quelque peu insultant qui affirme que la multiplication des médecins fait augmenter les dépenses de santé et l’autre, plus vénal, qu’il faut préserver les revenus des médecins.

Divergences d’intérêts aussi en politique des médicaments. Rappelons que la Belgique produit 25 % des vaccins mondiaux et que le plus gros employeur privé de Wallonie dans le secteur marchand est la firme GSK. Mais nous n’en tirons pas profit car, face aux multinationales pharmaceutiques, la faiblesse de l’état l’oblige à des conventions secrètes et à des clauses confidentielles sur le prix parfois plus qu’exorbitant de certains médicaments.

Notre politique de santé peut aussi être victime de biais idéologiques. En Belgique, et c’est encore pire en France, une politique de numerus clausus s’est mise en place pour des motifs qui interpellent. Un de ces motifs est un préjugé quelque peu insultant qui affirme que la multiplication des médecins fait augmenter les dépenses de santé, ce qui sous-entend que les déserts médicaux génèrent des économies. Un autre, plus vénal, est qu’il faut préserver les revenus des médecins. Merci de vous en soucier, mais est-ce la bonne méthode ?

Les MG, chers et paresseux !

Contre un très médiatique Grand Loup Bien-pensant qui prétend que la pénurie n’existe pas et que ce sont les médecins généralistes qui sont paresseux, nous maintenons que la pénurie de généralistes existe et que, sans une politique dynamique de remplacement des plus âgés, nous filons tout droit vers une dégradation des soins et une augmentation des coûts de santé. Les preuves ne manquent pas que la présence des généralistes diminue les coûts et améliore la qualité et que la mise en concurrence des lignes de soins provoque l’effet inverse.

Quant à accuser de paresse une profession où l’on travaille en moyenne 60 heures par semaine, remettons-nous en à Lao Tseu qui enseigne que l’invective déshonore celui qui la profère. En Belgique, où beaucoup de jeunes généralistes sont au bord de la crise de nerf, sombrent dans le burn-out ou abandonnent carrément la profession, nul doute que les injurier va leur rendre courage. Laissons donc les bateleurs à leur triste métier, il reste heureusement quelques politiques sérieux (même dans ce parti).

Inutile de pleurer sur le lait renversé, revenons-en à une attitude plus positive. Nous savons qu’un moyen d’améliorer la performance des généralistes consiste à optimaliser la collaboration entre les différents prestataires. Des projets en ce sens sont en route. Mais de grâce, évitons de nous fourvoyer : il est essentiel de concevoir cette collaboration sans que ce soit au détriment des généralistes et sans la formaliser sur un modèle concurrentiel entre kinés, pharmaciens et infirmiers. Malheureusement, certains, tant parmi nos autorités que dans les autres professions, ne sont pas disposés à travailler en harmonie. Un orchestre où chacun veut jouer sa partition à sa manière, ça craint ! Alors là aussi, il va falloir se battre. Mais le jeu en vaut la chandelle.

* Des âmes et des saisons, Boris Cyrulnik