Quelques réflexions sur l’adhésion à la convention médico-mutualiste 2024 en Belgique

Carte blanche du Dr Pierre Drielsma,
MD, PhD, administrateur et Trésorier du GBO/Cartel,
publiée le 28/03/24

Petit rappel utile

Il faut se souvenir que l’adhésion à la convention est passive. C’est-à-dire qu’il est nécessaire de dénoncer la convention de façon active. Donc que toutes les silencieuse, touts les négligents, toutes les distraites, tous les indifférents, (adapter les genres selon besoin) sont supposé(es) adhérer à la convention.

Il faut rappeler que, dans les années 60, l’adhésion active ne rencontrait pas la majorité requise, c’est cet artifice technique qui a permis d’obtenir la plupart du temps une adhésion majoritaire.

Deuxième artifice, le dénominateur : le dénominateur (l’ensemble des médecins) est sur-vitaminé par le fait que l’INAMI considère comme médecin actif tout médecin qui n’a pas renoncé volontairement à son numéro inami. Ces médecins doublement passifs augmentent les adhérents à la convention du nombre de praticiens « rangés de voitures » … Ces médecins passifs se retrouvent au dénominateur, mais aussi (par qui ne dit mot consent) dans les conventionnés.

Nous savons grâce à l’excellent travail de la Commission fédérale de planification et les services Recherche, Développement et promotion de la Qualité (RDQ) de l’INAMI, qu’un grand nombre de ces médecins n’ont plus du tout ou presque plus d’activité clinique.

Ces deux remarques importantes conduisent à des taux d’adhésion officiels plus élevés que la réalité sur le terrain.

Première observation : nord/sud et MG/MS

Pour les raisons précitées, il nous parait préférable de regarder les pourcentages de dénonciation (qui sont actifs et volontaires) plutôt que l’adhésion qui est passive et/ou fictive.

Pour les spécialistes, on observe un taux de dénonciation de l’accord qui va croissant de la Wallonie à Bruxelles puis en Flandre.

Pour la médecine générale, le pourcentage le plus élevé de dénonciation se trouve à Bruxelles, suivie de la Wallonie et le plus faible en Flandre.

Comment expliquer ces différences ?

Nous allons émettre des hypothèses qui auraient besoin d’être testées mais qui sont conformes avec ce que nous savons de la pratique des soins dans chaque région.

Une des hypothèses que nous proposons est que la dénonciation a pour but d’améliorer le revenu de la profession considérée (et non pas de se révolter contre l’état social).

Le taux de dénonciation le plus bas pour la MG se trouve en Flandre. Or, en Flandre, les soins sont plus spontanément échelonnés que dans les deux autres régions, donc la MG a du travail. Par ailleurs, les contacts sont plus courts et les visites à domicile (moins rentables) plus rares. Le taux de DMG et de trajets de soins est aussi plus élevé. Tout cela contribue à former des revenus élevés pour les MG flamands qui n’ont donc guère de raison de dénoncer la convention. À l’inverse, les MG bruxellois sont les moins échelonnés (à cause de la pléthore d’offres spécialisées et l’usage de la garde hospitalière). Les visites ne sont pas fréquentes mais très chronophages, le DMG et les trajets plus rares et, enfin, le prix de l’immobilier est le plus élevé. Tout cela peut expliquer un pourcentage relativement élevé de dénonciation. La situation wallonne est intermédiaire, sauf pour les visites à domicile dont les wallons sont beaucoup plus adeptes.

Cependant, le taux de dénonciation des spécialistes flamands est très élevé (d’autant plus élevé qu’il est probablement sous-estimé). Si nous admettons l’hypothèse d’un échelonnement « naturel » en Flandre, les consultations spécialisées y seraient plus rares et surtout plus longues (moins de consultations générales en MS). Il en résulterait une moindre rentabilité de la consultation spécialisée et donc un dé-conventionnement.

Pour les MS wallons, champions du conventionnement, leur comportement pourrait s’expliquer par le moindre échelonnement « naturel » au sud. Donc il arrive plus souvent aux MS wallons de faire concurrence à la médecine générale. Qui dit concurrence dit aussi concurrence pour les prix. Ce qui favorise le conventionnement. Il en résulte aussi que les consultations sont plus courtes et plus fréquentes, le nombre compensant alors le prix. La capacité à payer des suppléments est probablement plus faible en Wallonie.

Pour les MS bruxellois, outre la question immobilière déjà expliquée pour les MG, la forte concurrence entre spécialistes tend à diminuer les revenus, ce qui les incite au dé-conventionnement qui permet de compenser le nombre par le prix.

Deuxième observation : dans les spécialités, quelles sont les spécialités les plus déconventionnées ?

Pour analyser les choses au niveau fédéral (belge), nous sommes partis de taux dénonciation supérieurs à 20% en sachant que ce chiffre est structurellement sous-estimé. La spécialité la plus déconventionnée est la dermato avec près de 70% de refus (sous-estimé !), suivie par l’ophtalmologie (plus de 60% de refus) et enfin, médaille de bronze, la chirurgie plastique avec près de 60% de refus. Nous reviendrons sur la chirurgie plastique plus tard car il s’agit d’une spécialité qui ressort de deux domaines économiques distincts : les soins de santé et les soins esthétiques.

La question esthétique est aussi présente pour la dermatologie, mais devrait passer en second dans l’emploi du temps des dermatologues. Si la majorité des problèmes de peau devrait pouvoir être réglés en première ligne, il existe des pathologies qui, par leur sévérité, nécessitent l’intervention d’un dermatologue : les soins d’eczéma ou de psoriasis sévère, ainsi que les néoplasies, … Le faible taux de conventionnement met en péril l’accessibilité financière de ces soins nécessaires, avec le risque d’une médecine à deux vitesses.

L’ophtalmologie présente peut-être un risque encore plus grand de retard de soins ou de non soins.

Le taux élevé de dé-conventionnement en neurochirurgie est quant à lui très inquiétant : les traumas crâniens, les lésions vasculaires cérébrales, les tumeurs, ne sont pas des caprices et il est inacceptable de faire payer le patient pour ce genre de nécessité.

Qu’observe-t-on que nous ne sachions déjà ?

Nous retrouvons les plus grands chiffres de dé-conventionnement en Flandre mais pas par toutes les spécialités. En général, les spécialités médicales (médecine interne, gériatrie, oncologie, neurologie, psychiatrie, …) sont mieux conventionnées que les spécialités chirurgicales (orthopédie, plastique, stomato, …) ou médico-chirurgicale (gynécologie, urologie, ORL, ophtalmo, …).

Le fait de se trouver à la frontière des soins de santé et de l’esthétique peut expliquer le fort taux de dénonciation en dermato et chirurgie plastique.

Les spécialités où la nécessité fait loi sont bien conventionnées (oncologie, médecine d’urgence, anesthésie, …).

Pour les spécialités diagnostiques (biologie, imagerie, médecine nucléaire, anatomopathologie), la situation est contrastée, seule l’imagerie présente un profil de fort dé-conventionnement, peut être à cause de l’imagerie interventionnelle qui se rapproche des profils d’interventions techniques (cf. chirurgie et médico-chirurgical).

Dans les disciplines médicales, la cardiologie est aussi la plus déconventionnée et, là aussi, le lien avec la cardiologie interventionnelle (cathétérisme, stent, tavi, etc..) peut être supposé.

Enfin, deux disciplines « locomotrices » (rhumato et physio) présentent un profil de dénonciation élevé, peut-être en raison d’une nomenclature insuffisante ?

Informations manquantes

Nous aborderons la question des conventionnements partiels (qui semblent minoritaires) plus tard.

Nous manquons de données sur la pratique économique réelle du dé-conventionnement : Pour quel pourcentage de patients le déconventionné prend-il des suppléments ? Quel est le montant de ces suppléments ? Le déconventionné respecte-t-il l’absence de perception de suppléments pour les BIM ? Pour les non BIM, tient-il compte de la situation économique concrète (avec un risque de jugement arbitraire) ?

De même, il nous semble indispensable de pouvoir analyser le taux de déconventionnement ventilé par les différentes catégories d’âges des médecins. Comme nous ne disposons pas à ce jour de ces données, nous avons demandé que celles-ci nous soient fournies par l’INAMI afin que nous puissions en tirer les constats qui s’imposent.

Conclusions ?

Au total, la question de l’accessibilité financière aux soins reste ouverte, surtout en MS. Nous disposons en miroir de statistiques de report ou d’abandon de soins, mais elles ne sont pas corrélées avec les taux de dé-conventionnement. Cette question de santé publique reste donc d’actualité et mérite des études plus approfondies.