Éloge de la Médiocrité

Dr Lawrence Cuvelier.
Un billet d’humeur du Dr Lawrence Cuvelier, Vice-président du GBO/Cartel,
publié le 19/04/2024

La montée des extrêmes a « libéré la parole » et « décomplexé les débats » : on peut maintenant soutenir tout haut et fièrement les conneries qu’on pensait honteux et en silence.

Ne prenez pas un air surpris, vous me connaissez bien. Je suis la Médiocrité. C’est moi qui vous souffle à l’oreille des conduites inavouables mais si tentantes, des conduites indexées sur des idées toutes faites, du genre « pour vivre heureux vivons petits », des conduites où l’intérêt immédiat, la facilité et le confort personnel priment sur l’excellence. Et pour que vous cédiez à mes tentations, j’ai plus d’un tour dans mon sac.

Des exemples ? La liste est longue, je joue avec vos points faibles, la peur, l’émotion, la paresse, j’emploie des ressorts universels comme l’ambition et la sensibilité à la flatterie, j’encense l’orgueil et disqualifie l’amour-propre, beaucoup trop chargé de moralité.

La modernité me convient bien : à l’heure du numérique, on ne dispose que de quelques secondes pour convaincre, après 3 minutes la majorité du public décroche, alors je n’ai que faire des rigueurs de l’argumentation et des raisonnements scientifiques bien étayés, il vaut infiniment mieux maitriser la communication Twitter-X, Instagram et tutti quanti où le poids des mots et le choc des photos écrasent les arguments. En politique de santé, les enjeux sont par essence compliqués, parfois contradictoires et nécessitent une vision à long terme. Ainsi, une décision rationnelle prise dans le passé peut avoir des effets délétères dans le futur. Mais Moi, la Médiocrité, je n’ai cure de ces arguties, je veux atteindre ma cible tout de suite.

En matière d’innovation, le premier prophète est souvent un martyr, le second un saint.

Les soignants sont des cibles naturelles pour Moi. Par exemple, je joue sur leur peur, une peur pas toujours bien identifiée, souvent brouillée dans le feu de l’action et la passion d’être utile, mais qui se révélera au grand jour lorsque le soignant commettra une erreur aux conséquences graves voire fatales – occurrence quasi inévitable au cours d’une carrière bien remplie au service des patients, seuls y échappent les prescripteurs de bave de crapaud à ingurgiter un soir de pleine lune. C’est vrai qu’il a des raisons d’être craintif, le soignant. Le statut social du médecin, la plupart du temps indépendant, est relativement précaire, et son entreprise n’est pas à l’abri d’intempéries. Un généraliste solo peut tomber gravement malade et assister impuissant à la fonte rapide de ses réserves. Et même s’il reste en bonne santé, une partie de ses revenus dépend de nécessités administratives ou de la pratique d’actes pour lesquels il est surqualifié. Surmenage, burn-out et dépression guettent. Tout ceci est un délice pour Moi : les gens qui vivent dans une certaine insécurité juridique, financière et psychologique sont des proies faciles pour Ma Médiocrité, je titille leur cerveau reptilien qui va prendre le dessus sur les raisonnements corticaux sans même qu’ils se rendent compte de la manipulation.

Médiocrité et politique de santé, une histoire d’amour …

Ma méthode est simple : j’utilise la moquerie, la verve, le sarcasme, je ne m’enlise jamais dans des constructions intellectuelles élaborées, je profite des préjugés, j’effraie avec des accusations et des menaces, peu importe qu’elles soient fondées, je disqualifie mes adversaires sans perdre de temps à démontrer mes allégations. Tous les moyens sont bons, je traite mes adversaires de vieux, de jeunes, de féministes, de machistes, de gauchistes, de doux rêveurs, de papistes et même d’idéalistes, tout fait farine au moulin. Un conseil : pour devenir un bon apôtre de la Médiocrité, prenez modèle sur le personnage incarné par Louis de Funes, impitoyable avec les petits et servile avec les grands. Ne faites surtout pas l’inverse, ce serait un aveu de faiblesse. Ne pensez pas au bien commun, surtout si pour cela il faut faire des objections au collaborateurs « au-dessus de vous », vous risqueriez de blesser l’orgueil du puissant. Non, feignez l’humilité et réjouissez-vous des déboires de ceux qui cherchent à innover, ce sont des originaux juste bons à jeter à bas de la roche tarpéienne. Mais si une idée énoncée par votre adversaire vous parait bonne, n’hésitez pas à vous l’attribuer, il suffit de la reformuler et vous passerez pour un novateur. En matière d’innovation, le premier prophète est souvent un martyr, le second un saint.

La liste des conseils pour être un parfait Médiocre est encore longue, je m’arrête sur une dernière recommandation : ne craignez pas de mentir et n’hésitez pas à vous contredire. Ainsi, si vous avez proclamé urbi et orbi qu’il n’y avait pas de pénurie en médecine générale, jurez sur tout ce que vous avez de plus cher que vous ne l’avez jamais dit, les gens ont si peu de mémoire. Autre exemple, pour décrédibiliser le GBO, traitez-le d’intellectuel et de suppôt des maisons médicales. Le GBO aura beau se débattre comme un diable dans un bénitier, le mal sera fait. Mais qu’à cela ne tienne, que nous les fassions passer ou qu’on nous en vole la paternité, nos idées finissent toujours par triompher, et c’est cela qui compte.